"Vint un temps où le risque de rester à l'étroit dans un bourgeon était plus douloureux
que le risque d'éclore." Anaïs Nin

mardi 3 mars 2009

les couleurs de la vie: crème

Algérie, 1973...
Ce soir-là nous devions nous rendre à Tlemcen...Farida, Sélim et les enfants nous attendaient...Un couple que nous connaissions depuis longtemps...Tous les étés les rencontres internationales du groupe Freinet nous rassemblaient...Farida était jeune comme nous, moderne, pantalon et tee-shirt, maillot de bain à la plage...
Lorsque nous sommes arrivés au pied de l'immeuble, seul Sélim et son fils sont descendus pour nous accueillir...
Ramadan...la nuit venue nous avons partagés le couscous sucré arrosé de lait ribot...préparé et servi...par Farida et sa fille...
la semoule moelleuse à souhait, encore plus belle et blanche à côté des dattes et de la cannelle...l'ivoire des amandes...la douceur du lait...
Le lendemain matin les hommes étant partis nous avons décidé d'aller au marché...C'est alors que Farida, notre copine de sorties, de danses, de jupes courtes, Farida a sorti son haïk et s'en est enveloppée, elle nous a seulement dit sans nous regarder:
"C'est ça ou ne pas sortir"...
Soudain il semblait faire froid...nous n'avons rien dit et sommes sorties avec elle...Au retour elle nous a parlé... un peu...de liberté, d'égalité, d'une sorte d'uniforme...elle a dit ce qu'elle pouvait... c'était très difficile...
cette année là il m'était passé par la tête et par le coeur une idée folle et passionnée...
Farida qui le savait bien m'a regardée et m'a dit simplement: "tu peux rester, j'en serais heureuse...mais essaie d'abord le haïk"...

Je peux vous montrer la photo, c'est moi, ce n'est pas elle...Quand j'ai voulu marcher, que j'ai commencé à me cogner dans les meubles, je l'ai entendue dire: "le plus difficile c'est de traverser la rue, quand il y a beaucoup de voitures...Le nombre d'accidents, de femmes renversées est très important..."
C'était il y a longtemps maintenant...je me souviens encore de la beauté de ce voile, du tissu léger et magnifique, de cette prison couleur crème...Le lendemain nous sommes rentrés en France, je ne suis jamais retournée là-bas...Le bleu des burkas afghanes est merveilleux lui -aussi comme le noir du voile des femmes du Yemen...mais les couleurs de la vie sont parfois tristes...
Pardon pour ce message mélancolique...un jour peut-être...mais pour Farida et les autres il sera beaucoup trop tard...
Allez les filles,
que la ronde continue...vous qui venez de chez Françoise, courez chez Cereluna, elles ont plein plein d'histoires à vous raconter! .

15 commentaires:

Peace and love a dit…

il prend aux trippes ton message, il nous rappel le combat de tant de femmes pour être simplement des femmes, avec des plaisirs, des desirs et des DROITS. bab

Anonyme a dit…

Merci infiniment de nous rappeler que nous sommes des femmes libres. La première fois que j'ai rencontré une femme dans cette prison, c'était en 1997 à Essaouira, pas pour le folklore, non, dans la vrai vie, j'ai reçu comme un coup de poing dans l'estomac. Il faisait 38°, j'étais bras nus, avec lunettes de soleil. C'est à cet instant que j'ai mesuré la chance de l'occident, cette chance que l'on galvaude à tord et à travers sous couvert de fausses valeurs, de faux problèmes existentiels et de faux semblant. Bisous

Francoise MELZANI LAURENTI a dit…

je ne peux te dire que merci pour ce beau texte sincère et tellement douloureux !
un petit regret, ne la laisse pas tomber !!!
... essaie d'avoir de ses nouvelles, elle n'attend que ça et je crois que ce n'est pas elle qui fera le geste la première...

Anonyme a dit…

Emouvant souvenir.
Cléa

Anonyme a dit…

merci pour ce beau texte comme j'ai la chance d'etre heureuse d'etre une femme libre !!
Trop belle photo sur ce gateau

Anonyme a dit…

prison de voile crème, pour d'autre la prison est ailleurs mais aussi plombée.......nos grand mères et nos mères ont vécu sous des jougs d'éducation aussi lourds à porter et nous sommes là, dans nos vies , libres ou en tous cas plus libres qu'avant;
merci de nous faire apprécier nos présents Paisible!!

Anonyme a dit…

La ronde continue et nous donne ce soir à réfléchir ...Posons nous quelques instants et savourons notre liberté de marcher, de penser, de bouger, de nous plaindre aussi ...En mouvement perpétuel : quelle chance ...

La Tortue penseuse, panseuse de plaies en tout genre

Lise a dit…

J'ai le coeur serré en lisant ton texte. Cela me rappelle mon mariage. Mon ex-mari et sa famille très traditionnelle, le poids de ce voile léger mais si lourd de conséquences, de soumission, de non-dit ...

Ce matin,j'ai recu un coup de fil de ma mère. Le père de mon ex-mari est mort. Père qu'il a toujours voulu rencontrer sans le pouvoir, car sa mère menaçait de ne jamais plus lui parler.
Les coeurs des hommes sont parfois si égoïstes ....

Je sais ce qu'il doit ressentir aujourd'hui. Mais peut-être que cette déchirure énorme le fera lui aussi grandir ....

Les choses n'arrivent pas par hasard, comme on dit.

Merci encore pour ce texte magnifique !

Bises.
Lise

Anonyme a dit…

on avait dit pas de nourriture ??!!! voilà à cause de toi je suis assis à une table en face d'un gros couscous et ensuite on m'apportera les patisseries orientales..... heureusement que je suis dans un rêve éveillé...

Jinksy a dit…

I understood and enjoyed this post, but am loathe to attempt French learned so many years age! Thank you for a very telling view of a woman's life.

Anonyme a dit…

ma petite paisible j'adore le couscous un vrai délice

belle réussite avec cette couleur
bizzzzzzz de ta grenouille

Anonyme a dit…

j'y suis arrivée ma paisible a mettre un message sur ton blog il va neiger je te jure

http://lafrognantaise.canalblog.com

Anonyme a dit…

Beaucoup d'émotion à la lecture de ton beau texte, Paisible

Anonyme a dit…

C'est poignant et beau, merci de ce vrai partage ma Paisible, bisousss, Cricri

Anonyme a dit…

tes histoires sont toujours tellement bien racontées... celle-ci me rend triste, pour toutes ces femmes résignées.
gros bisous